31.3.06

W.G. Sebald ; De la destruction comme élément de l’histoire naturelle (1999) ; Actes Sud

[…] les reptiles géants se tordaient de douleur ou dégringolaient l’escalier des visiteurs, tandis qu’à l’arrière-plan, par un portail éventré, s’engouffrait l’éclat rougeâtre d’un incendie qui anéantissait Berlin. Effroyables aussi les travaux de déblaiement. Les éléphants passés de vie à trépas dans leurs dortoirs durent, dans les jours qui suivirent, être dépecés sur place, les hommes se glissant dans les cages thoraciques des pachydermes et fourrageant dans les paquets d’entrailles. Ces images d’épouvante nous saisissent particulièrement parce qu’elles [vont à l'encontre des] récits stéréotypés, et en quelque sorte pré-censurés, qui nous sont livrés des souffrances endurées par les humains.
[…]
Les documents exposés dans les pages qui précèdent montrent que notre manière d’appréhender les réalités d’une époque où la vie, dans les cités allemandes, a été presque entièrement anéantie, était très erratique. Si l’on fait abstraction de la mémoire familiale, des tentatives littéraires épisodiques et de ce qui est consigné dans les livres de souvenirs tels que ceux de Heck et de Heinroth, on peut parler d’une suite ininterrompue d’évitements et d’empêchements. Le commentaire que fait Schäfer à propos de son projet avorté va dans ce sens, tout comme la phrase de Biermann, […] disant qu’il pourrait écrire sur le brasier de Hambourg un roman dans lequel la pendule de sa vie se serait arrêtée à six ans et demi.
[…]
Quoiqu’il en soit, il n’est pas facile d’invalider la thèse selon laquelle nous ne sommes pas parvenus jusqu’ici à faire émerger dans la conscience collective, par des descriptions littéraires ou historiques, les horreurs de la guerre aérienne. En matière de littérature traitant en profondeur des bombardements des villes allemandes, il est significatif que ce qui a été porté à ma connaissance depuis mes conférences de Zurich entre dans la catégorie des ouvrages oubliés.


ibarat

2 commentaires:

Anonyme a dit…

j'ai parlé de ce livre sur mon blog. Sebald n'hésite pas à poser les questions qui font mal: pourquoi, après une telle catastrophe, le nombre de témoignages a-t-il été si faible?

Troisième Epicure a dit…

Sebald, c'est tellement sublime. Je regrette encore de ne pas avoir fait le voyage pour aller suivre quelques uns de ses cours, de l'autre côté de la Manche. Cela faisait quelques temps que je consultais sur internet le programme de ses enseignements dans l'université où il enseignait, quand j'ai appris qu'il avait eu un accident d'auto sur une autoroute. Autokrieg und Literatur, mein Freund.