J’ai lu, j’ai vu ces choses récentes : American Tabloid, de James Ellroy, et Munich, de Steven Spielberg. Pour mémoire, la première raconte l’assassinat de Kennedy en 1963 suivant la thèse d’une conspiration de la CIA, la mafia et les exilés anticastristes ; la deuxième, l’assassinat d’activistes palestiniens par le Mossad suite au massacre des JO en 1972. Par deux fois cette semaine, la grosse bête poilue de la fiction historique m’a touché l’épaule. Cet animal adore mettre les questions morales à la portée de tous, les incarner dans l’énorme tueur canadien amoureux de la pute envoyée par le FBI pour faire chanter le président, dans le doux tueur sabra qui fait l’amour à sa femme hanté par les corps déchiquetés qu’il devait venger. Ces univers moraux ne sont pas homologues : alors que Spielberg pose un monde bipolaire classique aux héros écartelés entre le bien et le mal, chez Ellroy seul le mal organise les actes et les désirs de ses personnages. Pourtant, ce ne sont pas ces graves questions qui me visitent lorsque je fais à ces deux malins auteurs le don temporaire de mes émotions. Ce qui me fait vraiment frémir est le sentiment du temps. Autrement dit, les coiffures, les voitures et les armes. Car ces histoires sont récentes comme moi. Je me souviens encore du jour où mon père est rentré dans sa 2CV pour nous dire Dallas. J’avais quatre mois, mais je m’en souviens très bien, si si, les gens portaient des lunettes aux sourcils barrés laissant les verres libres, celles que j’avais encore l’année dernière, perdues depuis dans un accident. Je me souviens aussi des pattes hirsutes et des chemises à carreaux des années soixante-dix, ce lumineux déclassement du vécu : l’époque où en Argentine la dictature massacrait les révolutionnaires, tous ces jeunes disparus qui s’habillaient pareil que dans le film. D’où l’inclusion des armes dans ma petite liste de signes mémoratifs, moi qui n’en ai quasiment jamais vu, qui n’ai jamais fait mourir personne dans mes écrits.
Esteban Buch
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