27.3.06

Carver for ever


Depuis que je suis tombée sur Carver, il y a quatre mois, je n’arrive plus à rien lire d’autre. Tout le reste me tombe des mains. Juré. Affaire d’autant plus navrante qu’une fois enfilés ses quelques recueils de nouvelles, on n’a plus rien à me mettre sous la dent. Alors parlons de Carver pour remplir ce blanc, ce vide, cet ennui qui suit la belle rencontre. Il n’a l’air de rien, cet Américain. Vous ouvrez un de ses livres, et vous trouvez des mots tout plats, des phrases toutes simples, ordinaires, des paroles comme celles qu’on entend dans la rue, chez soi, au bistrot. Couleur bitume, style limpide, quotidien. Qu’est-ce qui se passe, alors ? Qu’est-ce qui fait que d’un coup, on s’accroche, on se passionne, on n’arrive plus à lâcher ces personnages banalement névrosés, leurs disputes banalement hystériques, leurs réconciliations banalement atttendrissantes et leurs frigos remplis de banales cannettes de bière ? Soyons sincère, je ne suis pas sûre d’avoir saisi le mystère. J’ai bien des pistes, côté humain : tendresse, humour, lucidité. D’autres, plus formelles : absence de maniérisme, sens de l’ellipse, clarté, minimalisme.

Revenons au ressenti : l’impression, en le lisant, de recevoir un cadeau. Un gros cadeau, un vrai, sans emballage et sans rubans dorés. Pourquoi ? Peut-être parce que justement il ne se place pas " au-dessus " du lecteur. Vous voyez ce que je veux dire ? Mais si, vous savez… il y a toujours un moment, quand on lit tel ou tel " grand " auteur, où l’on se sent tout petit, où l’on se dit : " quel style inégalable " ou " ce personnage, si extraordinaire ", " ce grand destin ", et l’on pense à sa propre vie, si terne, à son propre style, si banal, et l’on se sent admiratif et un peu triste, tout falot. Avec Carver, le talent est ailleurs : il pose son regard sur les recoins de maison peu photogéniques, sur les instants " oubliés " de la littérature, sur les dialogues que l’on croyait si prosaïques qu’on oubliait qu’ils pèsent, eux aussi, leur comptant d’amour, de drôlerie, d’humanité. Il ne prend jamais le pouvoir sur ses personnages, il ne les " dissèque pas ", ne les " esthétise " pas. Il les suit comme une caméra discrète et subjective, cruelle et attentionnée. Supposez que le lecteur se pose en double du personnage, et vous avez une clef de sa générosité : il est si près de vous, il parle si simplement, qu’il donne chair à votre vie dans ce qu’elle a de plus trivial, et la " fait exister ".

Isabelle Renaud

1 commentaire:

Anonyme a dit…

S'il fallait lire une seule nouvelle de Carver, laquelle ?