1.4.07

Les gadoues par Philippe Delepierre

Ce n’est pas par hasard que les héros des romans de Philippe Delepierre sont souvent des enfants. Dans une langue truculente et poétique, semée d’argot, pleine de jeux de mots, celui-ci raconte en effet le pouvoir immense de la résilience. Ainsi, Gil, qui habite une petite ville ouvrière du Nord de la France dans les années 60, voit dans les gadoues, les boues fétides de la décharge voisine, un « filon » où pêcher toutes sortes de marchandises à revendre. Malgré les moqueries du voisinage, il ne s’afflige jamais du sort de son demi-frère trisomique : « Lui, le vilain petit canard, le péché originel […], face de lune hilare, petits cheveux noirs et raides, pommettes hautes et luisantes, descendant de Gengis Khan, prince des steppes, frère des Huns pourfendeurs des Romains, Trisomic-Marcel, mon pote, mon grand frère. » Comme Fred Hamster et Madame Lilas (éd. Liana Lévi, 2004) qui racontait le sort d’une immigrée algérienne à la même époque dans cette même bourgade, ce roman est de bout en bout un hymne à la tolérance. Sans misérabilisme. Ni angélisme : ainsi, Gil n’a aucune envie de travailler à l’usine, car les carreleurs, menuisiers, maçons, plâtriers que son père lui présente comme des « as », sont à ses yeux « des artistes », certes, mais condamnés à répéter « les mêmes gestes toute leur vie ».
Les Gadoues renoue par ailleurs avec une tradition du roman décrivant une enfance populaire, qui, des Ritals de Cavanna à Ouvrière de Franck Magloire (éd. de l’Aube, 2002), s’ouvre sur de beaux portraits de mater dolorosa. Ici, c’est Marie-Rose, la mère de Gil, dont le petit garçon, qui craint à tout instant qu’elle ne sombre « dans la grande déglingue », va soudain décoder l’histoire secrète.
Naïri Nahapétian
(Ed. Liana Lévi, 350 p., 18 euros)

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