20.5.07

beyrouth 2007

Après Beyrouth lente, brutale, curieuse, avide, généreuse et vaine et klaxons et vapeurs suaves et crues à Beyrouth toutes langues permises, la patronne de la pension Al Nazih dit bonjour en chinois, après j'ai su qu'elle ne savait que ça mais t’imagines ici une patronne d'hôtel pas chinoise te disant bonjour en chinois? /
Si t'es chinois(e).

Les gens nous abordaient dans la rue avec beaucoup de - discrétion. Ils nous parlaient, d'abord un peu de nous puis d'eux et nous disaient des choses très personnelles sur leur vie, leur passé, leur manière de vivre le présent, leur sentiment d'isolement, et leur manque d'argent pour les petites gens, et j'ai trouvé qu'ils le faisaient avec élégance.

Sur la promenade de la corniche, le chant du Muezzin lance des lignes dans l'eau, les voix des hommes pêchent, femmes sur les bancs de béton, les carreaux de mosaïques se détachent Plac en touchant le sol, les petites filles sont timides et sourient, les hommes pêchent, jeunes garçons, adolescents, jeunes hommes, hommes mûrs, les vieux jouent aux dés, les marchands ambulants vendent des fèves en sauce et des galettes de pains, les loueurs de narghilé font claquer au creux de leur paume une paire de minuscules cymbales, chclic chcling chclic chcling en arpentant la promenade, et une vieille femme voûtée/ mille livres le paquets de graines salées, deux paquets, deux mille livres, 1 dollar… les narghilés sont à la pomme ou à la framboise, les petites filles ne pêchent pas, les femmes fument le narghilé.

Les feuilles sèchent lentement dans mon bloc notes gouttes de papier galettes crachats vapeurs sèches de la mer un vol de dames voilées, enjamber le muret pour s'approcher des vagues pour se faire photographier, difficile de tenir l'appareil, de lever la jambe sans que le voile/ difficile près des vagues sous le vent. Le voile menace sans cesse, le tenir de près, une main au menton, l'autre sur le ventre. Sourire.
Et cette vieille dame me sourit alors que j'esquisse un geste pour l'aider à retrouver l'autre côté. Elle se débrouille.

Il y a les étrangers de Beyrouth installés pour toujours, des fois je le croyais.
A la pension Al Nazih, Joshua vit à Barcelone où elle enseigne l'espagnol pendant sept mois et comme elle gagne trop d'argent et que ça lui ferait payer trop d'impôts si elle continuait sur l'année (c’est ce qu’elle explique) alors elle passe les cinq mois restants à Beyrouth, ça fait sa troisième fois, elle donne des cours particuliers, elle voudrait bien écrire un livre sur Beyrouth, elle a commencé, elle demande si elle peut nous envoyer des extraits pour qu'on lui dise. Elle achète ses vêtements dans les fripes de Barcelone et porte des tuniques brodées d'or et d'argent qu'elle trouve ici. Elle refuse la bière parce qu'elle vient de perdre dix kilos. Elle a le crâne serré dans une longue écharpe de coton nouée sur sa nuque, j'ai pas vu ses cheveux.

Rémi prépare une thèse sur le Hezbollah. Il a 25 ans, un sourire, des contacts qui sont en train de se renseigner sur lui sous les tentes de l'opposition sur la place cernée. Sa voix s'emballe et son regard rentre vers l'intérieur lorsqu'il parle de LePen. Aux moments pointus, ses mains tremblent. Rémi fixe un point dans l'espace qui lui donne sa voix, son nom, sa place. LePen le définit mieux que ne le font ses origines, sa mère française, son père kabyle, banlieues, vols de mobs comme tout le monde mais pas plus, dès que j'ai un peu d'argent, j'investis en Kabylie, il y a des affaires à faire là-bas les chèvres grimpent encore aux arbres, j'ai deux cousins, perdu le contact, faut que je les retrouve, pourraient m'être utiles. Les gens là-bas sont d'une grande droiture et d'une grand dignité, si tu reviens au pays et que tu y investis, ils ont un respect énorme pour toi, ils te vénèrent. Je ne sais pas si Rémi a dit ce dernier mot mais je l'entends dans ses yeux. La puissance d'un désir de reconnaissance qui transforme tout en preuve. L'impact est impressionnant, presque intime, ma première rencontre avec LePen se fait ici, dans un pays déchiré.

Coups de feux ou pétards, Tien inquiet, plus tard nous apprenons que Mohamed est né, coups de feux ou pétards, Christ ressuscité, processions à la nuit tombée autour du théâtre, deux jours avant la résurrection les chrétiens processionnent autour de six églises, c'est la tradition, l'église St Joseph est à côté du théâtre, dans la crypte, feuilles de palmier nouées aux grilles, bougies dans l'obscurité entre les capucines, les visages ont la teinte des capucines.
Et j'ai passé des nuits blanches dans une chambre d’hôtel aux murs carrelés de faïence, un palais de marbre blanc travaillé vaste et magnifique. Palais Chajar en bas des escaliers de Gemayzeh en face du port et du bateau dont le nom sur la coque se peint tous les jours. L'arabe libanais est chantant.
Dehors est tout près, martyrs et barbares polymorphes, un cordonnier d'Achrafieh est revenu mais il est maintenant rayé, ne peut plus aller dans certains pays, un coiffeur dont la famille est venue de Bagdad il y a longtemps.

ib

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