19.2.06

Ravel de Jean Echenoz

J’ai lu cette chose récente : Ravel, de Jean Echenoz. Le texte égrène le similaire, le calme un peu sinistre du similaire. C’est une histoire de machines qui sourient. La méthode est analogique : Ravel s’attarde dans sa baignoire, Ravel traverse l’Atlantique, Ravel fait son choix entre vingt-cinq pyjamas, Ravel triomphe dans de nombreuses villes des États-Unis, Ravel ordonne sa collection de disques, Ravel compose le boléro de Ravel. Tout cela participe d’un même régime anti-organique réglé, c’est le cas de le dire, comme du papier à musique. Même la chute progressive du compositeur dans l’amnésie, la désagrégation inexorable de son esprit, les colères qui soudain montent à l’assaut de sa bonté, ne sont que mécanique commençant à doucement boiter. Plutôt que le déclin d’un objet utile qui se détraque, c’est la gloire paradoxale d’un objet mobile qui aurait trouvé dans sa mise à l’arrêt son heure la plus utile. Car il existe des machines qui s’autodétruisent, les bombes par exemple, mais très peu d’entre elles le font comme une valse sentimentale. On voudrait y reconnaître la violence cachée dont fut victime un homme trop petit pour être heureux dans une époque aussi tordue que les années trente. On aimerait y déceler les ruines de la guerre passée recyclées dans celle de la guerre à venir. (Cette équation dans une revue de musicologie : aujourd’hui = hier + demain). Mais rien n’est moins sûr, tant le bonheur est intime du squelette qui s’amuse ou fait semblant de jouir, au bordel, comme Ravel, ou ailleurs.


La vraie question est de savoir quelle musique serait ainsi faite. Celle de Ravel ? Non : pas de papiers de la folie chez lui, pas de faille dans son boléro. Son cœur n’a pas fait boum, il a simplement oublié de battre. Il faut l’imaginer, cette musique, écrite par Kagel ou par quelqu’un d’autre, comme une forme réticulaire qui neurone par neurone épouserait le musicien après l’ultime chirurgie.
Esteban Buch

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