17.12.09

Arts ménagers d'Isabelle Renaud

« Un recueil de nouvelles qui passe le quotidien à la loupe »

Par Christine Jeanney
http://www.pagesapages.wordpress.com/


« Debout devant son miroir en pied, elle s’est coiffée, s’est mis du rouge sur la bouche. Elle a choisi son manteau neuf dans la penderie. Elle s’est dit : Il faut que j’arrête, de faire trop attention aux choses, comme si elles étaient en vie. Elle est sortie de chez elle en boutonnant son manteau sans oser le regarder, en s’interdisant de vérifier si les manches de son pull dépassaient symétriquement sur ses poignets, si ses bottines étaient correctement lustrées. »


Dans chacune de ces treize nouvelles, Isabelle Renaud règle son zoom sur un objet banal, un fauteuil, un magnétophone, une couette ou un plancher.
Reprenant à son compte la citation de Lamartine, Objets inanimés, avez-vous donc une âme, elle dévoile le jeu des tensions emprisonnées à l’intérieur des choses.


Une alliance qui ne symbolise plus un couple, ou un chauffe-eau dont le fonctionnement est d’importance… les objets ne sont que prétextes : prétextes pour les personnages qui s’appuieront sur eux pour comprendre, avancer, ou simplement dire, mais prétextes aussi pour l’auteure qui montrera grâce à eux ce qui ne se voit pas d’ordinaire.


C’est que la nourriture d’Isabelle Renaud est quotidienne : un goûter d’anniversaire, des travaux dans un appartement, un enfant qui s’endort près de son lapin en peluche…
Ce qu’elle en tire l’est beaucoup moins : à travers ces moments simples, des vies se jouent. Les personnages d’Arts ménagers doivent faire le deuil, prendre un nouveau départ, devenir lucides ou lâcher prise.


« La petite commençait à montrer des signes de fatigue. Un peu plus tard elle s’endormit, pelotonnée dans la poussette ensablée. Le père la recouvrit d’un sweat-shirt à lui. Puis il retourna s’asseoir dans le sable. Il jouait avec son alliance, la faisant monter et redescendre le long de son annulaire. Au fil des ans, l’or s’était un peu détendu et l’alliance devenait plus lâche. »


Isabelle Renaud regarde intensément ses personnages et en révèle les failles, comme elle décrit précisément certains pans du décor :


« Les ouvriers ont décollé la moquette à moitié. Sous la partie arrachée s’étale une fine mousse beige, rayée de fils plus clairs. Le sol en béton transparaît au centre de cratères minuscules, lunaires. Elle fixe l’infiniment petit, le vertigineux, le grand. Des peluches. Des squames. Étranges cercles calcaires qui s’en vont. Des fils de moquette subsistent par endroits, comme de longs cheveux crépus oubliés. »


Les aléas dans ce petit monde attaché aux choses sont de tous ordres, légers ou graves. Pour chacun d’entre eux, Isabelle Renaud laisse le lecteur investir la place, s’introduire au milieu des sentiments et faire lui-même ses propres constats. À lui de ressentir les effets d’actes simples et ce qu’ils signifient (par exemple, les retrouvailles qui se cachent derrière une photo ancienne, dans la nouvelle L’album).


La réflexion portée sur ceux d’Arts ménagers n’est jamais caricaturale, mais sensible, attentive, surprise parfois. D’autres fois, mélancolique…


« C’est drôle, les rôles qu’on attribue aux gens. On ne peut pas s’en empêcher et pourtant, un jour, le rôle finit par engloutir tout entier l’être aimé.
Le gardien.
Celui qui protège de la mort, apaise dans ses bras chauds.
Celui qui fait battre en retraite la solitude et ses famines tenaces.
Le gardien. Quel rôle illusoire et fragile. »



C.J.


Arts ménagers, Isabelle Renaud, Editions Quadrature, 112 pages, 15 €. http://www.editionsquadrature.be/

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